
La pollution de l’air est un problème consubstantiel Ă l’industrialisation et surtout au basculement vers un système Ă©nergĂ©tique appuyĂ© sur les Ă©nergies fossiles, comme le charbon. Pendant longtemps, elle est reprĂ©sentĂ©e par trois phĂ©nomènes pris en compte de façon très diffĂ©rente:
- les mauvaises odeurs, issues de matières organiques en putrĂ©faction, souvent qualifiĂ©es de « miasmes » par les mĂ©decins et observateurs du XIXe siècle, sont restĂ©es jusqu’Ă nos jours un phĂ©nomène aisĂ©ment perceptible par les riverains. C’est ce qu’on pourrait appeler la pollution « familière », facile Ă identifier et Ă dĂ©noncer par les personnes non expertes.
- Les vapeurs et gaz issus de la nouvelle chimie (usines d’acide sulfurique, d’acide chlorhydrique, mais Ă©galement de soude) qui se rĂ©pandent dès le dĂ©but du XIXe siècle près des grandes agglomĂ©rations industrielles (Paris, Rouen, Marseille, Lyon).
- Les fumées produites par les machines à vapeur, utilisées massivement dans les usines textiles de Manchester ou de Mulhouse (le « Manchester français »), dans la métallurgie et la sidérurgie, comme dans la vallée du Gier.
Ce sont ces dernières qui font l’objet de premières rĂ©glementations, sous la forme d’arrĂŞtĂ©s municipaux , Ă partir de 1898 (ordonnance Ă Paris en 1898; arrĂŞtĂ© Ă Lyon en 1905), et d’une loi en 1932.
En dĂ©cembre 1952, le Great Smog de Londres frappe l’opinion publique – surtout dans les milieux d’experts – et au printemps 1954, une commission interministĂ©rielle d’Ă©tude de la pollution atmosphĂ©rique est créée par le ministre de la SantĂ© publique et de la population. ProlongĂ©e par l’activitĂ© d’associations spĂ©cialisĂ©es, comme l’APPA, créée en 1958, elle contribue Ă prĂ©parer la loi du 2 aoĂ»t 1961 sur les pollutions atmosphĂ©riques et les odeurs. Cette loi-cadre offre la possibilitĂ© de crĂ©er des « zones de protection spĂ©ciale » oĂą la combustion des carburants les plus polluants serait rĂ©glementĂ©e, sur le modèle des smokeless zones créées en Grande-Bretagne dès les annĂ©es 1950 et alors que deux arrondissements de Paris font l’objet de recherches menĂ©es par les services de la prĂ©fecture de la Seine.
Le 10 juin 1970, le gouvernement Chaban-Delmas présente ses « Cent mesures pour l’environnement », aboutissement d’un premier travail visant à créer un nouveau domaine d’action publique.
Le mot « environnement » n’est pas familier de la population, et un petit groupe de fonctionnaires a travaillé sur l’établissement d’une liste variée de mesures pendant quelques mois.
La première mesure de la liste Ă©laborĂ©e par un petit groupe de la DATAR dans les semaines prĂ©cĂ©dentes est intitulĂ©e « CrĂ©ation de zones de protection spĂ©ciales contre la pollution de l’air dans les agglomĂ©rations de Lyon et de Lille ». Il est vrai que la qualitĂ© de l’air n’est pas très bonne dans ces pĂ´les industriels, au centre de vastes agglomĂ©rations. Les noms de Roubaix, Tourcoing, dans le Nord, Villeurbanne, VĂ©nissieux, Saint-Fons, dans la rĂ©gion RhĂ´ne-Alpes, incarnent des villes ouvrières et industrielles, parsemĂ©es de cheminĂ©es. Cependant, en dehors d’arrĂŞtĂ©s d’aoĂ»t 1964 crĂ©ant deux zones Ă Paris, rien de plus n’avait Ă©tĂ© mis en oeuvre pour appliquer la loi de 1961 en province.
Quelques mois plus tard, Ă l’automne 1970, commence l’affaire des odeurs de Lyon. Dès l’Ă©tĂ© des plaintes avaient Ă©tĂ© recensĂ©es par la mairie de Lyon et par la prĂ©fecture, accusant pour la plupart l’usine chimique Roussel-Uclaf installĂ©e sur la commune de Neuville-sur-SaĂ´ne. L’inspection des Ă©tablissements classĂ©s dĂ©douana l’entreprise, en invoquant notamment le fait qu’un produit chimique n’Ă©tait plus produit sur place. Pendant plusieurs mois, de mystĂ©rieuses odeurs sont ressenties par les citadins, sans qu’une industrie coupable soit clairement identifiĂ©e. La presse fait ses choux gras de la pollution olfactive. La prĂ©fecture n’est guère amusĂ©e par le feuilleton, d’autant que plusieurs fronts connexes sont ouverts : dossier d’un deuxième vapocraqueur Ă la raffinerie de Feyzin (AD RhĂ´ne, 1238W15), projet contestĂ© de deuxième raffinerie dans la rĂ©gion, prĂ©vu au sud de Belleville-sur-SaĂ´ne et suscitant l’ire des milieux viticoles du Beaujolais.
Les services de la DDASS proposent au préfet la création d’une commission d’experts sur le sujet. Le 11 février 1971 a lieu la première réunion du Groupe de recherche sur la pollution de l’air de la Préfecture du Rhône. Quatre sous-groupes sont rapidement formés et se réuniront dans les semaines suivantes. Un rapport final, présenté par le docteur Violet, directeur du Bureau d’hygiène de Lyon, et M. Bergier, ingénieur sanitaire à la DDASS, est adressé au secrétariat général de la préfecture début juillet 1971. Les pouvoirs publics sont assaillis par la question environnementale : la deuxième raffinerie est désormais qualifiée de « baladeuse », et se promène alors dans l’Ain, du côté de Loyettes, emplacement souhaité par les élus du département qui imaginent un grand avenir industriel. EDF le leur promet, d’ailleurs, avec 4 nouvelles tranches de la centrale nucléaire de Saint-Vulbas, ce qui suscite une première grande manifestation le 10 juillet 1971, à l’appel d’un dessinateur célèbre de Charlie-Hebdo, Pierre Fournier.